Planaire, vase, paramétrique : comment nous tranchons les biscuits imprimés en 3D
L’impression 3D est une technique de fabrication révolutionnaire qui permet de fabriquer des objets physiques, tangibles à partir d’une série de commandes numériques exécutées sur un ordinateur. On résume ainsi le processus mais en réalité plusieurs formats de fichiers, c’est-à-dire plusieurs états de la forme sont nécessaires pour arriver à la construction de l’objet réel. Parmi ces étapes, il y en ait une particulièrement cruciale : il s’agit du tranchage (ou « slicing » en anglais).
L'impression 3D alimentaire, et plus particulièrement celle des biscuits, repose sur un processus bien plus complexe qu'il n'y paraît. Contrairement à l'impression 3D plastique ou métallique, où le tranchage est une étape standardisée, la fabrication de biscuits imprimés en 3D exige une approche adaptée aux spécificités des recettes qui sont imprimées.
C’est d’autant plus vrai à la Patisserie Numérique, où nous avons développé l’imprimante 3D Patiss3 sur la base d’un procédé d’impression 3D spécifique à base de poudre et de liant. En effet, toute recette est un mélange entre des ingrédients secs et liquides, et cette étape de mélange est réalisé directement par l’imprimante en fonction du fichier 3D.
Le tranchage d'un modèle 3D définit la manière dont l'imprimante va déposer la matière, en définissant à la fois le trajet de la tête d’impression, la vitesse et les facteurs d’extrusion, influençant ainsi directement la texture, la tenue et l'esthétique du biscuit final. Dans notre laboratoire de R&D, nous avons réalisé plus de 500 000 heures d’impression sur l’année 2024, et probablement autant sur les années précédentes cumulées. Avec cette expérience, nous avons affiné trois grandes stratégies de tranchage pour garantir des résultats optimaux : le tranchage planaire, le tranchage en mode vase et le tranchage paramétrique.
Chacune de ces techniques possède des avantages et des limites, selon l'objectif recherché : finesse des détails, légèreté, état de surface ou encore résistance du biscuit à la reprise en humidité. La méthode de tranchage influence la méthode de construction de l’objet et influence également la dépoudrabilité du biscuit et même sa texture, ses propriétés organoleptiques.
Dans cet article, nous allons explorer ces trois méthodes en détail, afin de comprendre comment nous tranchons les biscuits, les macarons imprimés en 3D ou tous les autres recettes en R&D pour assurer le meilleur résultat possible.
1. Les paramètres réglables au moment du tranchage
Après la phase de conception de la forme en 3D dans un logiciel de conception par ordinateur, le fichier est exporté dans un format spécifique pour impression 3D.
Plusieurs formats sont disponibles et les plus connus sont :
- - Stl
- - Obj
- - 3dm
Ces formats de fichiers stockent non pas les fonctions mathématiques derrière la forme mais un ensemble de coordonnées dans l’espace décrivant les contours intérieurs et extérieurs du fichier à partir d’un repère. Un peu comme si on décrivait par des points les creux et les pleins de votre corps sur une carte en 3D.
Dans ces fichiers il n’y a donc aucune indication sur le sens de l’objet (qui peut avoir un haut et un bas), sur le matériau utilisé, sur les propriétés mécaniques ou dans notre cas gustative recherchée etc….
Ces paramètres sont définis au moment de l’étape de tranchage et de très nombreux paramètres sont à notre disposition pour influencer sur la construction de l’objet.
Il existe de nombreux logiciels de slicing fonctionnant par méthode planaire sur le marché, développé pour les professionnels ou bien les hobbyistes. Ils reposent sur des algorithmes qui calculent la trajectoire optimale pour réduire le temps d’impression, en programmant les accélérations et décélérations des mouvements de la têtes pour obtenir le meilleur état de surface. Les slicers reposent chacun sur un algorithme spécifique ; un des plus connus étant l’algorithme open source Slic3r. Il est maintenu aujourd’hui dans Prusa Slicer, l’occasion pour nous de remercier Josef Prusa et son équipe de proposer et d’améliorer des super outils pour toute la communauté de l’impression 3D.
Chaque slicer a quelques paramètres qui lui sont spécifiques, mais si on prend le cas de PrusaSlicer voici la liste des paramètres que l’on peut manuellement modifier :
Ces logiciels proposent également souvent la possibilité d’enregistrer des profils pour une configuration spécifique, par exemple pour un modèle d’impression 3D ou un matériau particulier.
2. Le tranchage planaire : la méthode classique
Principe
Le tranchage planaire est la technique la plus courante dans l'impression 3D. Il consiste à diviser le modèle en fines couches horizontales de hauteur uniforme. Ces couches sont ensuite imprimées successivement, formant progressivement l’objet en empilant la matière.
Dans l'impression 3D alimentaire, ce type de tranchage est principalement utilisé mais il a un défaut, il rend les couches d’impression d’aliments généralement très très visibles. Également comme les matériaux sont visqueux cela necessite des vitesses d’impression faible (de l’ordre de 10 à 15 mm/sec). 2 écueils majeurs que nous avons résolu grâce au procédé d’impression 3D mis en œuvre dans Patiss3 : les biscuits obtenus n’ont pas de couche visible, à une vitesse d’impression d’au moins 100 mm/sec et sont produits à un coût attractif : à partir de 10 centimes, comme nous l’avions expliqué dans cet article.
Cela peut donc paraitre bizarre, mais un logiciel de tranchage conçu pour le dépôt de fil fonctionne bien avec notre imprimante 3D Patiss3 qui n’utilise pas du tout la technique du dépôt de pâte ! Nous en avons réalisé une adaptation maison pour gérer les différentes dispositions des pièces dans l’espace afin d’optimiser le nombre de biscuits produits dans le bac d’impression et les séquences d’ajout de poudre. Cette étape est appelé dans le métier « packing » et elle se retrouve dans les logiciels de tranchage spécifiquement développés pour les procédés d’impression 3D à base de poudre.
Ce mode de tranchage idéal pour les biscuits aux formes complexes et pour les textures qui doivent être fidèles à un design précis.
Avantages
- Haute précision : permet d'obtenir une reproduction exacte du modèle 3D.
- Grande flexibilité : compatible avec de nombreuses recettes de pâtes, tant qu'elles conservent une bonne viscosité.
- Adapté aux formes complexes : parfait pour les motifs finement sculptés, comme des biscuits ornés de motifs ciselés.
- Productivité : quand il y a plusieurs objets sur la couche, la tête fait peu de déplacement pour imprimer toutes les formes avant de passer à la couche supérieure
Limites
- Strates visibles : l'accumulation de couches peut donner un aspect "feuilleté" indésiré, notamment sur les surfaces inclinées.
- Temps d'impression plus long : chaque couche devant être imprimée avec précision, le processus peut être plus lent que d'autres méthodes.
- Risque d'effritement : certaines pâtes peuvent présenter des fragilités si les couches ne fusionnent pas parfaitement.
Cas d'usage
Dans le catalogue de designs inclus gratuitement avec notre imprimante 3D culinaire, plus de 20% sont réalisés avec le tranchage planaire. Voici quelques pièces réalisées de cette manière :

- La palette 4 gouts
-
- Le tajine

- L’arc de triomphe
2. Le tranchage en mode vase : rapidité et légèreté
Principe
Le tranchage en mode vase repose sur un dépôt en spirale continue plutôt que sur des couches empilées. Au lieu d'imprimer une surface pleine en plusieurs passes, l'imprimante suit un seul chemin continu, créant ainsi une structure creuse et homogène.
Il est également couramment proposé dans les logiciels de tranchage pour imprimantes 3D FDM / dépôt de fil, et donc il a été très couramment utilisé pour l’impression 3D alimentaire.
Comme son nom l’indique il est parfait pour les formes de vase, ce qui s’applique bien au monde de la cuisine et de la pâtisserie. Quand on y pense, les fonds de tarte sont proches des vases, car ils sont des contenants comestibles visant à faciliter le transport (d’un point à un autre, ou bien vers la bouche) d’ingrédients mous ou liquides !
L’état de surface est très différent quand on utilise le mode vase, par rapport au mode planaire dans la production des biscuits. C’est d’ailleurs le mode de tranchage / slicing que nous utilisons avec la poudre luxe avec de pouvoir garantir un résultat de très haute qualité et d’une grande finesse.
Cela permet d’obtenir des angles très nets, des murs bien droits et plus fins que ceux réalisés avec un fonçage traditionnel, comme vous pouvez le voir sur les photos ci-dessous.
Un autre avantage non négligeable est qu’il y a moins de mouvement entre les phases d’impression, (ce qu’on appelle les mouvements de non-impression). Ainsi les cycles d’impression sont plus courts.
On gagne sur tous les tableaux avec le tranchage en mode vase ? Non, il y a un inconvénient : on peut mettre moins de pièces dans le bac car il faut laisser un peu plus d’espace vide pour que la tête puisse circuler entre les pièces.
C’est pourquoi les designs de notre catalogue sont proposés en 2 finitions :
- - Finition standard = tranchage linéaire, maximum de pièces par bac, meilleur rapport qualité/prix
- - Finition luxe = tranchage en mode vase, maximum de qualité mais moins de pièces, donc un peu plus cher
Nous avons voulu laissé cette possibilité à nos clients car chacun imprime selon ses critères : pour certains cela sera la productivité, pour d’autres la qualité « laser » des pièces et encore pour d’autres… le goût !
Avantages
- Gain de temps : l'impression est plus rapide car elle ne s'arrête pas entre les couches.
- Rendu plus uniforme : aucune stratification visible, ce qui donne un biscuit plus esthétique et homogène.
- Légèreté : idéal pour des formes fines et les designs « contenants »
Limites
- Moins de liberté sur le design : cette technique est idéale pour des formes cylindriques ou arrondies, mais pas sur tous les designs.
- Structure parfois fragile : les biscuits obtenus sont souvent plus fragiles car ils n'ont pas la même densité qu'un biscuit imprimé en tranchage planaire.
Cas d'usage
Parfait pour des anneaux, des tubes, ou des formes élégantes et creuses, comme des verrines, ce qui s’applique bien dans l’univers de la cuisine.
Quelques exemples de design imprimés avec un tranchage en mode vase :
-
- L’eclair bombé
- La verrine tiramisu
… et tous les designs disponibles avec la poudre de blé Luxe !
3. Le tranchage paramétrique : l'intelligence du sur-mesure
Principe
Le tranchage paramétrique consiste à adapter la stratégie de tranchage en fonction de la structure souhaitée. Plutôt qu'une approche uniforme, il permet de modifier dynamiquement l'épaisseur des couches, la densité du remplissage ou encore la forme interne du biscuit. Ce mode de tranchage est intimement lié dans notre utilisation à la phase de design paramétrique, qui nous permet de récupérer directement le gcode sans passer par un logiciel de tranchage classique.
Le design paramétrique consiste à « programmer » ou calculer une forme comme un ensemble de fonctions mathématiques, répétables selon plusieurs variables. Cela nous permet ensuite d’ajuster la valeur des paramètres et de créer quasiment à l’infini une « série » de formes de 3D à partir d’une même fonction. L’interface de création de design paramétrique la plus connue est probablement Grasshopper, qui est liée au logiciel Rhino.
En impression 3D culinaire, il est très intéressant d’utiliser le design paramétrique car cela nous permet de programmer directement la trajectoire de la tête d’impression qui extrude en continu, un peu comme dans le mode vase. On obtient ainsi des jonctions propres et des motifs réguliers.
Nous utilisons le design paramétrique pour toutes les pièces en dentelle de biscuit, car nous pouvons facilement « programmer » les surfaces ajourées. Nous utilisons également le tranchage paramétrique pour gérer les textures au sein des biscuits, afin d’ajouter plus ou moins de croquant.
Avantages
- Personnalisation avancée : possibilité de créer des motifs internes qui influencent la texture finale (ex. : biscuits avec des structures alvéolaires pour plus de croquant).
- Optimisation de la résistance : permet d'ajouter des renforts aux zones fragiles sans alourdir l'ensemble.
- Effets visuels uniques : offre des rendus créatifs avec des jeux de textures et de transparences.
Limites
- Requiert un logiciel avancé : la génération des paramètres exige un algorithme performant, que nous affinons en permanence.
- Nécessite des tests préalables : chaque modification impacte la cuisson et la texture, donc un travail d'optimisation est essentiel.
Cas d'usage
Parfait pour les biscuits artistiques, les structures en dentelle et les pièces aux textures complexes qui doivent allier esthétisme et fonctionnalité.
Voici quelques exemples spectaculaires de pièces paramétriques que vous avez pu découvrir dernièrement sur notre compte instagram :

- Le dome ispahan
-
- La tartelette maille haute
- La mitre de st nicolas
Dans le catalogue de design inclus avec l’imprimante 3D Patiss3, toute la section des paniers est réalisée avec ce type de tranchage paramétrique.
Conclusion
Le tranchage des biscuits imprimés en 3D est une étape cruciale pour assurer un rendu optimal. Selon le type de biscuit recherché, nous utilisons différentes stratégies : le tranchage planaire pour la précision, le mode vase pour la rapidité et l’uniformité, et le tranchage paramétrique pour l’optimisation sur mesure.
Ces techniques nous permettent de repousser les limites de l’impression 3D alimentaire et d'offrir aux professionnels de la cuisine des possibilités inédites, pour étonner et séduire encore plus leurs clients avec des formes inédites.
L'avenir de cette technologie passe par l’amélioration continue de ces procédés et par le développement de logiciels d’optimisation encore plus précis ; et c’est une part importante des recherches que nous menons à La Patisserie Numérique. Car nous devons tenir sans cesse compte de la spécificité des ingrédients que nous utilisons, de leur interaction pendant la phase d’impression et les phases de repos ou de cuisson, pour pouvoir comprendre et prévoir la forme finale du modèle 3D imprimé.
Comme je le dis souvent, c’est plus dur d’imprimer un mélange d’œufs, de sucre, de crème et de farine que d’imprimer un thermoplastique, car nous devons prendre en compte un ensemble d’interactions physico-chimiques ; qui ont des impacts sur les dimensions et la forme du « sillon » d’impression effectué dans la poudre comestible.
En conclusion, nous vous invitons à vous inscrire à notre newsletter pour continuer à suivre nos recherches, car la révolution de la pâtisserie numérique ne fait que commencer !